Beaucoup d’écoconstructeurs clament que le HQE, Haute Qualité Environnementale, c’est "du flanc", de la poudre aux yeux, un blahblah complaisant pour faire passer pour écolo un bâtiment portant en fait atteinte à l’environnement, ou juste une manière de raffler un marché.
<< « Pas de liste noire » est le mot d’ordre brandit par les industriels du bâtiment pour que les matériaux les plus malsains ne soient pas exclus de la démarche. Les industriels veillent également au grain pour abaisser le plus possible le seuil minimal de la fameuse future certification et pouvoir ainsi communiquer allègrement sur leur nouvel engagement environnemental ! On voit fleurir dans la presse spécialisée, de magnifiques morceaux de langue de bois nous prouvant que le parpaing de ciment ou que la laine de verre « intègrent parfaitement la démarche HQE ».>> explique Eric AUDOYE, architecte et président de « Bâtir Sain ».
Justement, c’est désormais le Conseil National de l’Ordre des Architectes, qui a officiellement décidé de quitter l’Association HQE dont il était membre actif depuis plusieurs années.
Patrice GENET, Président de la commission « Développement durable » du Conseil National de l¹Ordre des Architectes, explique ce retrait :
Loin d’être un mouvement d’humeur ainsi que l’a interprété le Président de l’Association en question, cette position soutenue par l¹ensemble des conseils régionaux de l¹Ordre des Architectes, s’inscrit dans le sillon de son Livre Vert dédié au développement durable qui témoigne désormais de l¹engagement de la profession dans cette démarche incontournable.
En annonçant son retrait de l¹association, le Conseil National de l’Ordre des Architectes tire ainsi un signal d’alarme contre les dérives prédatrices d¹une démarche initialement conçue comme un support de réflexion et d’action pour développer et promouvoir la qualité environnementale ainsi que le management environnemental de toute opération de construction .
Aujourd’hui, on observe que l’Association HQE confisque et préempte une large partie du débat sur le développement durable en ciblant son action sur le volet environnemental, ignorant ainsi les aspects culturels, sociaux et dans une moindre mesure, économiques, qui conditionnent désormais la fabrication de tout espace à vivre.
La prise de position de l’Ordre des Architectes prend appui sur des constats récents dans la politique menée par l’association HQE : notamment l’absence de prise en compte d’une conception architecturale plus solidaire et plus généreuse en tant que valeur ajoutée à tout projet, et le glissement progressif de l’association vers une interprétation technicienne et technocratique du développement durable, couronnés par l’annonce d’une certification HQE pour les bâtiments tertiaires et bientôt pour les immeubles d’habitations.
Par rapport aux enjeux de développement durable auxquels est confronté l’ensemble des acteurs de la chaîne de construction, la démarche HQE, dans sa conception actuelle, s’avère ainsi être tout à la fois réductrice, minimaliste, technicienne et castratrice.
Réductrice, car elle ne porte que sur l’un des aspects de notre responsabilité sociale, la préservation de l’environnement au sens strict. Or, notre devoir, en tant qu’architectes, est d’imaginer, en partenariat avec l’ensemble des autres acteurs de la filière, des réponses innovantes intégrant les quatre piliers d¹une architecture durable :
– Prendre en compte la valeur ajoutée culturelle de tout projet, porteuse de sens et de bien-être et affirmer les principes de « contemporanéité » et « d’identité » de tout ouvrage, répondant ainsi à la demande du corps social [ Pilier culturel]
– Intégrer la recherche du bien-être et du « digne confort » dans l’habitabilité d¹un ouvrage, pour tous ses usagers qu’il s’agisse de personnes valides, de personnes handicapées, d’enfants, de personnes âgées, mais également inscrire l’utilité sociale de l’ouvrage dans le temps ; promouvoir des actions solidaires au travers de projets fédérateurs ; être à l’écoute des utilisateurs en veillant notamment à comprendre les nouveaux styles de vie qui doivent être intégrés dans le processus de conception [ Pilier social] ;
– Au travers de l’acte architectural, assurer l’éco-efficience (réduction des déchets, promotion des matériaux performants, recours aux énergies alternatives) mais également garantir la prise en charge des impératifs sanitaires et de sécurité des constructions et des chantiers [ Pilier environnemental] ;
– Trouver l’optimum entre les coûts de programmation, de conception, de construction, d’exploitation et de maintenance en développant une approche de tout projet architectural en terme de coût global intégrant aussi les coûts collectifs [ Pilier économique] ;
Minimaliste, car il suffit de satisfaire trois des quatorze cibles pour qu’un ouvrage puisse être identifié comme répondant à la « norme » HQE.
Or, nous savons tous que l’optimum global recherché n’est pas la simple somme des optima partiels, que sa définition ne peut être que le résultat d¹un dialogue approfondi entre les différentes parties prenantes concernées étonnamment absente de la démarche HQE, et donc que l’analyse de la performance sociale, environnementale, économique et culturelle d’un ouvrage ne peut être que globale.
De nombreux ouvrages revendiquant aujourd’hui la marque « HQE », affichent des résultats très peu probants sur leur efficacité environnementale, et ne se sont pas par ailleurs des démonstrations significatives de grande qualité architecturale.
Technicienne, car elle entretient l’illusion du tout mesurable et du tout normatif. La promotion en cours de la certification de la démarche HQE, dont l’AFNOR sera le maître d’oeuvre, est présentée comme inéluctable et l’une des principales voies du développement de la qualité environnementale.
Il ne s’agit pas d’être naïf ; derrière la prétendue ingénuité d’une association revendiquant son statut d’utilité publique se cachent les appétences d’acteurs qui ont compris les enjeux financiers énormes liés au développement du marché de la certification : méthodes, grilles de calcul, formations, etc
Nous ne sommes pas les seuls, ni les premiers, à nous opposer à cette démarche de certification tous azimuts et à ses dérives technocratiques ; un nombre croissant d’entreprises préfère aujourd’hui développer elles-même leur démarche de progrès. Les ingénieurs-conseils réunis au sein de la Chambre de l’Ingénierie et du Conseil de France (CICF) ont eux-mêmes exprimé leurs réserves à tout processus binaire du type bon/mauvais susceptible d’évaluer une qualité environnementale, laquelle ne pourra jamais être « modélisée », n’adhérant pas ainsi au principe de la certification tel qu’il est proposé.
Technicienne encore, car l’association HQE ignore l’architecture en tant que discipline contribuant au développement durable, assimilant pêle-mêle sous le vocable maître d’oeuvre à connotation technique tous ceux qui agissent en tant que simples prestataires de services, y compris donc les architectes, ignorant ainsi l¹apport culturel de toute une profession formée dans cette direction.
Castratrice enfin, car elle ne voit d’avenir que dans le développement de la norme. Or, dans ce domaine encore émergent qu’est le développement durable, où les représentations et les approches ne sont pas encore stabilisées, il existe une autre voie de développement de l’architecture durable, celle du progrès collectif volontaire dans lequel chacun prendrait sa part, par le dialogue, l¹incitation et la diffusion des connaissances et dans lequel l’innovation, la créativité et les réponses adaptées seraient sollicitées.
La démarche des architectes, à la croisée des chemins dans la chaîne de la construction, s¹inscrit dans une logique d¹innovation et d’apport créatif continus. Ils entendent, dans ce cadre, affirmer quatre pratiques fondamentales :
– Une vision de long terme dans le respect des générations futures
— en envisageant le devenir de tout ouvrage, au regard des générations futures et également de son utilité sociale,
— en évaluant, dès la phase de conception, les capacités de flexibilité et d¹adaptabilité de tout ouvrage projeté.
– Une prise en compte de la gouvernance
— en rendant transparent et accessible le processus de prise de décision pour l¹élaboration du projet, depuis sa programmation jusqu¹à sa livraison,
— en encourageant les bonnes pratiques et notamment celles des professionnels, comme les architectes dans le cadre de leur devoir de conseil, qui ont la capacité à alerter leur maître d¹ouvrage sur tout risque encouru par leur programme,
– Un développement de la concertation et du dialogue
— en favorisant l¹institutionnalisation du dialogue avec les populations et toutes les parties intéressées dans le cadre de l¹élaboration de tout projet.
— en dispensant l¹effort pédagogique nécessaire à la compréhension des projets
– Une promotion de la recherche et de l¹innovation
— en offrant les moyens aux professionnels d¹accroître leur capacité à répondre aux défis économiques, environnementaux, sociaux et culturels actuels et à venir.
— en répondant d¹abord à des objectifs plutôt qu¹à des normes, quitte à adopter des pratiques qui vont au-delà des exigences légales ou réglementaires.
S’appuyer sur des valeurs et des bonnes pratiques plutôt que sur des critères techniques est ce qui nous singularise et nous légitime en tant qu’architectes du développement durable. C’est le sens de notre retrait de l¹association HQE.
Créer un habitat accessible et viable dans une démarche culturelle partagée qui favorise les solidarités, qui soit économe en ressources tout au long de son cycle de vie et qui s¹intègre dans l¹environnement tout en étant « dans son temps », voilà le défi ambitieux auquel nous devons répondre et auquel nous nous attelons activement.
Nous invitons tous ceux qui partagent cette ambition et cette approche à nous rejoindre au sein de notre forum « Les architectes au coeur du développement durable »
Patrice GENET __ Président de la commission « Développement durable » Conseil National de l¹Ordre des Architectes
La définition de lArchitecture n’est pas uniquement : une construction répondant à des normes, fussent elles édictées par une association dite HQE, qui par ce biais se donnerait le pouvoir d’édicter les critères de "l’ARCHITECTURE". Que deviendrait le palais de Versailles s’il devait répondre aux critères DPE ? Si les normes HQE s’imposaient à l’Etat pour sa réhabilitation ? L’Architecture n’est pas vérité d’aujourd’hui, erreur du passé. L’avenir risque de demander des comptes quand aujourd’hui sera devenu le passé de demain. Que restera-t-il d’un art édicté par des sensibilités vides et par des normes technocratiques ?... Quel avenir pour la création architecturale ?...