Matawan est un Italien de 68 ans, originaire de Toscane. Après avoir voyagé aux quatre coins du monde étant jeune, le Danemark a particulièrement retenu son attention. « Dans les années 70, c’était vraiment un endroit exceptionnel pour les jeunes, raconte l’homme de 68 ans. Il y avait une atmosphère de liberté, le contact était très facile. La population était très tolérante et ce n’était pas non plus difficile de trouver un job. Maintenant que c’est devenu plus riche, les gens sont aussi devenus moins ouverts. »
Revue Passerelle Éco n°82 : « Écolieux, quels liens avec l’extérieur ? »
En plus des témoignages de 15 écolieux en France et 3 écovillages au Québec sur le thème de leurs relations extérieures avec les voisins, les agriculteurs, les chasseurs, la mairie, les administrations etc, cette revue présente un compte rendu des rencontres du Global Écovillage Network Europe.A l’époque, Matawan s’est installé à Christiania, communauté autogérée de Copenhague. « Je vivais dans une partie qui était comme un mini-village dans la ville. Il y avait tous les aspects d’un éco-village. Un bon voisinage, une bonne vie sociale, un bon feeling. Mais je n’aimais pas l’aspect drogues, marché de haschich. C’est pour cela que j’ai préféré choisir autre chose. » Matawan a donc eu l’occasion de beaucoup côtoyer les communautés hippies. Pour lui, les éco- villages sont beaucoup plus engagés par rapport à la société. « Le mouvement hippie était plus une réaction à la société et les membres des communautés cherchaient avant tout les côtés agréables de la vie. Et ça a atteint certains extrêmes, comme l’exagération de l’utilisation des drogues, souligne-t-il. A l’opposé, les éco-villages sont beaucoup plus ouverts à différents points de vue. Par exemple au niveau de la composition des foyers. Pour les hippies, les familles étaient quelque chose de mal, alors que dans les éco-villages elles sont tout à fait acceptées. Ici à Dyssekilde, il y a énormément de couples avec des enfants, mariés ou non. »
130 adultes et 63 enfants vivent aujourd’hui dans cet éco-village. C’est en 1989 que le terrain a été acheté à la commune de Torup, à cent kilomètres au nord-ouest de Copenhague. A l’époque, le terrain ne comportait qu’une ferme et un champ de pommes de terre, pas un seul arbre. « Nous vivions dans des wagons car nous n’avions pas de maisons, raconte Vianna Tentji, une des fondatrices de l’éco-village. L’idée de départ était de créer une communauté végétarienne et spirituelle. Nous étions très inspirés par le philosophe danois Martinus. L’éco-village devait s’appeler Vegatarian 90. Nous avons mis des annonces dans les journaux locaux pour trouver des personnes intéressées. Mais nous avons très vite réalisé qu’il était impossible de réunir assez de personnes parce que c’était des critères très sélectifs. Alors nous avons finalement accepté le fait que nous ne pouvions pas pousser tout le monde à être végétarien. »
Au départ, le village voisin était très réticent à l’installation de cet éco-village. « La seule raison pour laquelle ils nous ont permis de nous installer, c’est parce qu’ils nous ont expliqué que nous n’aurions aucune aide de leur part. Ils pensaient qu’on ne s’en sortirait pas, explique Vianna. Nous avons finalement obtenu des subventions et embauché un ingénieur qui a fait des plans détaillés pour tout le village. C’était une personne extraordinaire, il a dit oui à tout. Si ça n’avait pas été lui, tout aurait été très différent... » Au départ, énormément de personnes étaient intéressées par le projet. « Mais au moment de signer, la plupart nous ont quitté » regrette Vianna.
Les sept premières années, les fondateurs de Dyssekilde ont travaillé très dur. « Le matin, je m’occupais du champ et des brebis. Je devais également m’occuper des mes trois enfants, aller aux réunions, aider à la construction des maisons. Au moins, nous n’avions pas le temps de nous faire de soucis » se souvient Vianna.
Au départ, les habitants de la communauté partageaient leurs repas. A Dyssekilde, il n’y a aucune sélection pour les nouveaux arrivants. Le nombre d’habitants a très vite augmenté. « Nous avons construit une maison commune. C’était très bruyant et nous pouvions à peine avoir une conversation, indique Vianna. Finalement, nous avons arrêté de partager nos repas. »
Aujourd’hui, les habitants peuvent organiser des repas ou des fêtes dans la maison commune quand ils le souhaitent. Pour cela, ils doivent juste indiquer la date qu’ils souhaitent retenir sur le calendrier prévu à cet effet.
Les décisions sont prises au cours de réunions collectives. Il y en a trois ou quatre chaque année.
Ces réunions sont également l’occasion d’aborder les conflits et de tenter d’y apporter des solutions. « Le simple fait que les éco-villages existent est un phénomène politique. »
Pour Matawan, faire le choix de vivre dans un éco-village, c’est vivre selon sa propre vision du monde, en respectant les valeurs auxquelles il croît. « Les éco-villages sont nés de la critique du système actuel. Le simple fait qu’ils existent est un phénomène politique. Mais nous ne voulons pas provoquer, nous ne sommes pas des extrémistes. Nous voulons communiquer. Faire en sorte que les gens sachent qu’un autre monde est possible, insiste-t-il. Au lieu de nous battre dans l’arène politique, nous faisons en sorte de vivre notre vision du monde. Nous ne faisons pas que parler, nous agissons. »
Et effectivement, les éco-villages sont de plus en plus présents dans les médias. Le Danemark a le plus important réseau d’éco-villages du monde. Environ 27 éco-villages en sont membres. « Nous gênons le gouvernement dans le sens où nous prônons la décroissance. Ils en parlent, de même que les médias, comme si c’était un danger. Ils sont effrayés par ce concept car ils ne connaissent pas d’alternatives à la croissance économique, explique Matawan. Les hommes politiques se contentent de suivre un chemin tracé depuis longtemps. Pendant ce temps, ils ne se rendent pas compte qu’un nouveau monde est déjà en route. Ils devraient prendre l’exemple du Bhoutan où la croissance est mesurée en terme de bonheur brut. »
Un des points les plus importants pour Matawan est de prendre soin de l’environnement qui nous entoure. « Nous sommes en train de détruire les conditions qui nous ont permis d’être là aujourd’hui. C’est très frustrant. Pas pour moi, mais quand je pense aux générations qui vont venir. En Inde, un des concepts que j’ai appris était que pour toutes les actions que nous entreprenons, nous devrions penser aux sept générations qui suivent. » « Les éco-villages consomment 60% d’énergie en moins que les villages traditionnels. » Mais Matawan reconnaît que le Danemark est tout de même un pays qui se soucie beaucoup de l’environnement. « Au Danemark, 20% de l’énergie provient des éoliennes. Nous sentons que les membres du gouvernement s’intéressent de plus en plus aux éco-villages car ils se rendent compte que c’est un succès. Dans les éco-villages, nous consommons 60% d’énergie en moins que dans les villages traditionnels. »
Matawan a construit sa maison en se conformant au maximum aux principes écologiques, particulièrement pour le choix des matériaux. Le bois dont il s’est servi est un bois non traité. Il a également utilisé beaucoup d’argile. Le système de chauffage est commun aux sept maisons qui l’entourent, il s’agit d’un système géothermique. Il utilise la chaleur du sol, ce qui est très économique et durable. La partie sud de sa maison comporte une baie vitrée qui retient la chaleur du soleil. Même l’hiver, la maison a besoin de très peu de chauffage.
L’éco-village a également développé le système du lagunage pour le traitement des eaux usées. Il s’agit d’une technique d’épuration par des micro-organismes, des algues et des plantes aquatiques. L’eau ruisselle également au travers des racines de plantations d’arbres, ici des saules.
Pour construire une maison à Dyssekilde, les habitants achètent le terrain. Ils ont également la possibilité d’utiliser quatre mètres autour de leur maison, mais ils ne sont pas propriétaires du jardin. La maison peut être vendue à n’importe qui, mais les habitants de l’éco- village sont prioritaires à l’achat. « La différence avec un village traditionnel, c’est l’intention. Nous avons un but commun. » Matawan regrette que le gouvernement italien soit beaucoup moins préoccupé par les problèmes environnementaux. « En Italie, il n’y a pas autant d’attention des politiciens, surtout avec Berlusconi... Mais il y a tout de même une vague de changement en ce moment. Cet été, il y a eu un référendum dans lequel les Italiens ont refusé le retour de l’énergie nucléaire. »
Matawan vit maintenant depuis six ans à Dyssekilde. « J’aime le fait de vivre dans un éco- village, ça me permet de suivre plus facilement mes principes. De plus, ils sont communs à beaucoup de mes voisins. Nous avons des idées communes. La relation à la nature, à la société, la manière d’être ensemble. Parce que les éco-villages ne sont pas juste sur l’écologie et l’environnement. C’est aussi comment être ensemble. Et la différence avec un village traditionnel, c’est l’intention. Nous avons un but commun. »
Quand Matawan était plus jeune, ses parents lui ont proposé de prendre la place de son père qui travaillait en tant qu’employé. « J’aurais travaillé six heures par jour, cinq jours par semaine, pour un bon salaire. Mais pour moi il était hors de question d’accepter ! Et j’ai toujours le même avis aujourd’hui. J’aime travailler, mais avoir un travail qui ne me satisfasse pas entièrement, ce n’est pas moi, raconte-t-il. Je pense que beaucoup de gens mènent une vie régulière uniquement parce qu’ils ne voient pas les alternatives. Ils suivent ce qu’on leur a appris mais ils rêvent d’une autre vie. »
Aujourd’hui, Matawan exerce trois emplois. La plupart des habitants de Dyssekilde exercent leur activité professionnelle à l’extérieur. Quelque-uns travaillent tout de même sur place car l’éco-village compte un magasin écologique et une école. Certains habitants du village voisin y sont également scolarisés. Le poste principal de Matawan est celui qu’il occupe dans une banque équitable de Copenhague, où il aide à diverses tâches d’administration et d’entretien. « Quand j’ai dit à ma famille que j’allais travailler dans une banque, ils n’en revenaient pas ! Ce qui est important pour moi, c’est le fait que cette banque ait des valeurs éthiques. Cela signifie qu’elle investit son argent dans des projets en faveur de l’environnement, des projets durables, sociaux. »
Matawan vend également des objets qu’il fabrique lui-même à base de bois d’olivier. Enfin, il donne des cours d’italien et de cuisine toscane végétarienne. « Quand je suis arrivé au Danemark, je me souviens que le minestrone me manquait tellement que j’ai appelé ma mère en Italie pour lui demander la recette ! »
A 68 ans, Matawan est toujours plein de rêves. Actuellement, il envisage d’entreprendre un grand voyage pour visiter des éco-villages aux quatre coins du monde.
Bonjour à Tous,Merci pour cette discussion et je vous fait part que je souhaite vivre dans un écovillage qui soit un modèle de société pour les générations futures.