Nicolino : "Ce sera l’industrie, ou nous"
Extrait d’un article de Fabrice Nicolino, paru dans Charlie-Hebdo - 9 décembre 2009
Le vrai, c’est que les émissions mondiales de gaz explosent. Elles ont augmenté de 41 % entre 1990 et 2008, alors que le protocole de Kyoto espérait une baisse de 5,2 % en 2012, c’est-à-dire demain. Ces chiffres vont au-delà du scénario le plus pessimiste établi par le Giec, comme vient de le constater, effaré, le climatologue Hervé Le Treut.
Encore y a-t-il peut-être pire. 26 climatologues de grande réputation parlent désormais d’une augmentation moyenne de la température de 7° aux alentours de 2100 [1]. Un authentique cataclysme, qui balaierait tout.
Fermez donc la télé, car vous n’y apprendrez rien. La clé de Copenhague est ailleurs. Notre Nord à nous, Etats-Unis compris, a un besoin vital que le Sud continue à produire des merdes à prix cassés. Des fringues, des jouets, des ordinateurs. C’est ainsi et seulement ainsi qu’ils pourront continuer à acheter nos turbines, nos avions, nos centrales nucléaires, nos parfums. Le Sud ne peut donc que poursuivre la marche en avant vers l’abîme, et augmenter massivement ses émissions de gaz. Et nous aussi, mais un peu moins, car nous cramons du combustible fossile depuis déjà deux siècles.
Un exemple, pour la route. L’élevage mondial, essentiellement industriel, émet selon la FAO (2006) plus de gaz à effet de serre - 18 % - que tous les transports humains réunis, de la bagnole à l’avion, en passant par le train et le bateau. Mais une nouvelle étude américaine sérieuse [2], reprenant les comptes à zéro, estime que l’élevage représenterait 51% des émissions humaines.
Le meilleur moyen de lutter contre le dérèglement climatique, dans tous les cas, serait de diviser l’hyperconsommation de viande par trois ou quatre. Mais aucun responsable n’en parle, car ce serait s’attaquer enfin à un lobby industriel. Et donc, silence.
Ce qui est en cause à Copenhague, c’est un principe d’organisation. Une histoire enracinée, dominée par un imaginaire devenu fou. Le monde est devenu une industrie. Elle commande tout. Navré de le dire brutalement, mais ce sera elle, ou nous.
Compensations et évitement :les calculs de Copenhague
Extrait d’un article traduit par m-e-dium.net [3]
Ce sommet est largement dominée par les représentants des pays riches. Ils tentent de ficeler l’accord avec des subterfuges comptables qui donneront l’impression de réductions, sans conséquences réelles. Il est essentiel de comprendre ces manigances.
L’astuce repose principalement sur une bizarrerie du système : un pays riche peut réduire ses émissions sans effectivement émettre moins de gaz à effet de serre. Comment est-ce possible ? Il peut tout simplement payer un pays pauvre pour émettre moins qu’il ne l’aurait fait autrement. En théorie, cela semble correct : nous avons tous la même atmosphère, donc pourquoi se soucier de savoir d’où viennent les réductions ?
Astuce n°1 : réchauffement de l’atmosphère.
Les nations du monde se sont vues attribuer des permis d’émettre des gaz à effet de serre en 1990, lorsque l’Union soviétique était encore une grande puissance industrielle - de sorte qu’elle a reçu une dotation énorme. Mais l’année suivante, l’URSS s’est effondrée, et le niveau de sa production industrielle est tombé en chute libre – tout comme ses émissions de carbone. Ces gaz ne seront en définitive jamais émis. Mais la Russie et les pays d’Europe orientale les considèrent dans toutes les négociations comme « les leurs ». Maintenant, ils les vendent à des pays riches qui veulent acheter des « réductions ». Dans le système actuel, les États-Unis peuvent en acheter à la Roumanie et dire ensuite qu’ils ont réduit leurs émissions - même si elles ne sont rien d’autre qu’une fiction juridique. Nous ne parlons pas ici de petit changement climatique. Cet air chaud représente dix gigatonnes de CO2. Par comparaison, si les pays développés du monde entier réduisent leurs émissions de 40 pour cent d’ici 2020, cela ne fera que six gigatonnes en moins dans l’atmosphère.
Astuce n°2 : double comptabilité.
Prenons un exemple pour mieux illustrer ce point. Si la Grande-Bretagne paie la Chine pour qu’elle renonce à une centrale au charbon et qu’elle construise un barrage hydro-électrique à la place, elle se met alors en poche cette réduction des émissions de carbone dans le cadre des réductions globales par pays. En retour, nous sommes même autorisés à conserver une centrale au charbon chez nous. Et dans le même temps, la Chine tient aussi compte de ce changement dans le cadre de ses réductions d’ensemble. Donc, une tonne de réduction d’émissions de carbone est comptée deux fois. Cela signifie que le système entier est truffé d’exagérations - et le chiffre des réductions globales est une arnaque.
Astuce n°3 : des Forêts fictives
On appelle ce processus le LULUCF (Land Use, Land-Use Change and Forestry : Utilisation des terres, changements d’affectation des terres et foresterie). Les forêts captent les gaz à effet de serre et les stockent hors de l’atmosphère ; aussi, de manière parfaitement judicieuse, les pays obtiennent-ils un crédit dans le cadre du nouveau système pour leur préservation. Il s’agit d’une mesure essentielle pour stopper le réchauffement planétaire. Mais les entreprises de l’exploitation forestière canadiennes, suédoises et finlandaises ont réussi à fait pression sur leurs gouvernements pour qu’ils insèrent une clause absurde dans les règles. Les nouvelles règles établissent que vous pouvez, au nom de la « gestion durable des forêts », couper presque tous les arbres – et ce, sans perdre de crédits. C’est kafkaïen : une forêt coupée n’augmente pas votre niveau officiel d’émissions ... même si elle augmente votre niveau réel d’émissions.
Astuce n°4 : Choisir de faux points de départ.
Toutes les recommandations scientifiques prennent 1990 comme point de référence du niveau dangereusement élevé dont nous devons partir. Alors, quand nous parlons d’une réduction de 40 pour cent, nous voulons dire 40 pour cent de moins qu’en 1990. Mais les Américains ont - dans un éclair de génie publicitaire - décidé de prendre 2005 comme leur niveau de référence. Tout le monde parle des niveaux de 1990, sauf eux. Alors, quand les Etats-Unis promettent une réduction de 17 pour cent par rapport au niveau de 2005, ils sont en fait en train de proposer une réduction de 4 pour cent par rapport au niveau de 1990 - beaucoup moins que les autres pays riches.