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le 2 juin 2018

L’humain est-il une espèce nuisible ?

Histoire naturelle de notre espèce

« [L’Homme], insupportable enfant gâté qui a occupé trop longtemps la scène philosophique et empêché tout travail sérieux en réclamant une attention exclusive. » Claude Lévi-Strauss. 2009. L’homme nu. Éd. Plon.

Complément à la revue Passerelle Eco n°66 sur le thème "Effondrement écologique et social ; et transition intérieure"

Jusqu’à récemment, les animaux qui nous causaient du tort étaient qualifiés d’« espèces nuisibles », y compris les plus remarquables et bénéfiques pour les écosystèmes, comme le blaireau ou le lynx. Le bon sens commence à prévaloir, mais, dans le grand récit de l’hominisation, nous nous considérons toujours comme un prodige d’adaptation à l’environnement planétaire, bien qu’Homo sapiens soit reconnu responsable de la crise écologique et du bouleversement climatique actuels...

Faut-il renverser la perspective puisque, pour accroître nos bénéfices à court terme, nous avons sacrifié ceux à long terme en détruisant les milieux naturels ? Qui se préoccupe de l’explosion démographique en cours et de la surexploitation des ressources naturelles qui en découle ?

Peut-on alors se demander en quoi notre espèce est utile aux écosystèmes et à la planète ?

Note : cet article est adapté du dernier essai de Pierre Jouventin, L’Homme, cet animal raté, paru fin 2016 chez Libre & Solidaire. Il est paru dans le courrier de la nature n° 306 « Spécial Nuisibles ».

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Photographie de 1892 présentant une pile de crânes de bisons d’Amérique. Ils seront broyés et serviront de fertilisant.
Crédit : Burton Historical Collection, Detroit Public Library/domaine public

L’homme est-il un superprédateur inconscient ?

Une comparaison de 300 études sur la prédation parue en 2015 montre que l’homme moderne est autrement plus prédateur que les carnivores [1] . « Les autres prédateurs tuent en général les jeunes et les faibles, c’est-à-dire ceux qui ne se reproduisent pas. À l’inverse, nous prélevons les plus gros animaux, notamment comme trophées de chasse, qui représentent les populations les plus matures et reproductrices », regrette Heather Bryan, chercheuse à l’institut Hakai de l’université de Victoria, et l’une des coauteurs de l’étude. « Cela a un double impact sur la population exploitée, du fait des prises directes et du déficit de reproduction pour le futur [...]. Les niveaux décrits par les scientifiques comme durables sont encore trop élevés. Nous devrions nous inspirer du comportement des prédateurs non humains, qui représentent des modèles de soutenabilité à long terme. »

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Source : D’après McFalls J.A. 2003. Population : a lively introduction. Population Bulletin, Washington PRB publ. 58, n° 4.

« Notre espèce occupe donc la niche écologique d’un superprédateur, mais plus opportuniste et gaspilleur que n’importe lequel ayant existé sur Terre. »

Pourquoi notre espèce est-elle si douée pour la prédation et la colonisation, mais aussi peu prévoyante ? Nous pouvons changer de ressource selon le lieu et le mode d’exploitation de la nature, à la différence des autres espèces prédatrices placées au sommet de la chaîne alimentaire. Alors qu’un loup ne peut se reproduire et rester dans une région s’il tue trop de proies, l’homme peut modifier son régime alimentaire et donc éradiquer complètement des espèces pour passer à d’autres... Le végétal est mangé par l’herbivore, qui est à son tour dévoré par le prédateur ; c’est ce que l’on nomme en écologie une chaîne trophique, ou pyramide alimentaire. Au sommet se trouvent les superprédateurs, qui ne sont mangés par personne et dépendent seulement de leurs proies. Le loup, le lion et l’humain remplissent ce rôle dans la nature. Notre espèce occupe donc la niche écologique d’un superprédateur, mais plus opportuniste et gaspilleur que n’importe lequel ayant existé sur Terre. Les hommes primitifs (Homo erectus par exemple) ont pratiqué cette superprédation d’abord modestement pendant 2,8 millions d’années en colonisant tous les continents et les îles qu’ils ont pu atteindre. L’homme moderne, Homo sapiens, est sorti lui aussi d’Afrique au cours de ses 200 000 ans d’existence et a occupé tous les espaces colonisables du globe. Depuis l’agriculture et l’élevage, il y a environ 10 000 ans, il a changé de mode de vie : il est passé de l’exploitation extensive, à long terme, à l’intensive, nécessairement à court terme. En parcourant les derniers millénaires de notre histoire, le paléontologiste constate que la colonisation de la planète par notre espèce coïncide avec la disparition de la mégafaune (les animaux de grande taille) sur tous les continents et les îles. Chaque fois que l’humain arrive sur une terre nouvelle, grands oiseaux et mammifères s’éteignent après quelques milliers d’années.

En Afrique

On peut ainsi suivre la colonisation de la planète, continent après continent. En Afrique, que l’on croyait un Éden pour les animaux jusqu’à récemment, les paléontologistes ont découvert que plusieurs grandes espèces d’herbivores et de carnivores n’existent plus qu’à l’état de fossiles. Celles qui restent ont, semble- t -il, appris à éviter nos ancêtres, qui ont mis du temps pour devenir maîtres de leur environnement, permettant à certains des gros mammifères encore présents, comme le lion ou l’éléphant, de trouver le temps de s’adapter à cette concurrence et donc de survivre. Cette hécatombe s’est en effet produite entre un et deux millions d’années, avant que les premiers représentants d’Homo erectus ne se multiplient sur ce continent d’origine. En plusieurs vagues, Homo erectus puis son successeur Homo sapiens sortent d’Afrique et colonisent l’Eurasie : mammouths, ours et lions des cavernes, rhinocéros laineux, aurochs et éléphants disparaissent à leur tour, en seulement quelques milliers d’années. Ils n’ont alors probablement plus le temps de s’adapter à cette invasion des colons humains, parvenus avec Homo sapiens au maximum de leur efficacité prédatrice.

En Amérique du Nord

Vers - 24 000 ans [2] , des Asiatiques d’origine sibérienne passent à pied par le détroit de Behring en plusieurs vagues grâce à la glaciation. Ils colonisent ce double continent rempli d’herbivores et de carnivores géants en passant par la côte Pacifique dégelée et, d’après la signature isotopique des os des plus anciens squelettes, en se nourrissant de phoques. Des chameaux, des mammouths de 10 tonnes, des rongeurs gros comme des ours, des lions géants, des paresseux de six mètres de haut, s’éteignent après leur arrivée. Plusieurs sources font état de ces disparitions, dont l’une est surprenante : une chercheuse américaine de l’université du Maine a dénombré les crottes fossiles de mégamammifères et les spores qu’elles contenaient, ces dernières lui fournissant un indice de datation permettant ainsi de déduire l’abondance de ces mégamammifères à travers le temps. Entre -14 800 ans et -13 500 ans, lorsque le climat permet de coloniser toute l’Amérique du nord, l’abondance de crottes chute brutalement, une pointe de lance ayant été même retrouvée dans une côte de mastodonte tué il y a 13 800 ans.

Lexique Signature isotopique : étude au niveau atomique des tissus d’un être vivant afin d’en déduire des informations multiples. Les atomes composant les tissus d’un individu peuvent se présenter sous différentes formes, aussi appelées isotopes. Ces isotopes sont influencés et varient en fonction de paramètres bien précis, propres à leur environnement. La signature isotopique d’un aliment se retrouve ainsi dans les tissus du consommateur ; les os des premiers colons de l’Amérique sont ainsi « marqués » par la signature isotopique de leurs proies, ici les phoques.

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Source : ©Australia Post/artist P. Trusler

En Australie

Bien avant cela, du fait de la dérive des continents, l’Australie se sépare du continent primitif, le Gondwana, avant même l’apparition sur les autres continents des mammifères portant leurs jeunes dans le ventre jusqu’à la naissance. Dans ce monde qui ne connaissait pas les mammifères placentaires, les mammifères marsupiaux se diversifient. Ils portent leur petit dans une poche, et certaines espèces étaient bien plus grandes que celles que nous connaissons aujourd’hui. Il y a 45 000 ans, des hommes venus de Papouasie traversent le détroit qui les sépare de la grande île-continent, probablement sur des radeaux, au moment où le niveau de la mer est au plus bas. Les humains investissent ce nouveau monde et, 2 000 ans plus tard, 85 % de la mégafaune qui prospérait jusqu’alors disparaît. Pour aggraver les choses, une nouvelle vague d’arrivants amène dans ses pirogues le chien, qui reprend sa liberté pour devenir le dingo, occupant la niche écologique vacante de son ancêtre lointain, le loup, c’est-à-dire celle d’un chasseur coopératif de gros gibier.

En Nouvelle-Zélande

L’Australie s’est donc séparée du Gondwana avant l’apparition des mammifères placentaires, ce qui explique la présence des mammifères plus primitifs que sont les marsupiaux. Mais la Nouvelle-Zélande s’est détachée bien avant l’Australie, il y a 85 millions d’années, d’où l’absence de tout mammifère non introduit par l’homme, excepté ceux arrivés par la mer comme les otaries, ou par l’air comme les chauves-souris. Vers l’an 1 300, les Polynésiens découvrent cette longue île inhabitée et s’y installent. Des moas, énormes oiseaux végétariens, s’y sont diversifiés en de nombreuses espèces dont certaines atteignaient 3,6 m de haut pour un poids de 250 kg. Incapables de voler, ils représentaient des proies faciles et ont été exterminés en un siècle, avant même l’arrivée des colons européens, comme bien d’autres espèces. À Madagascar, les lémuriens géants et l’oiseau-éléphant (haut de 3 m et pesant 450 kg, dont les œufs étaient dix fois plus gros que ceux d’une autruche) subissent le même sort après l’arrivée de migrants venant d’un côté d’Afrique, et de l’autre d’Indonésie.

En Sibérie

Sur l’île Wrangel à 200 km au nord de la Sibérie, les derniers mammouths, demeurés à l’abri de l’homme qui les a éliminés du continent eurasien vers -10 000 ans, disparaissent il y a 4 000 ans, quand nos ancêtres parviennent à atteindre l’île... Quand on compare les grands mammifères terrestres présents avant et après la révolution néolithique, le nombre de genres existant dans le monde se réduit de moitié avec l’avancée de la colonisation de la Terre par l’homme moderne. Bien des scientifiques ont cherché désespérément à justifier ces hécatombes par des épizooties, ou une brusque modification climatique. Mais ces disparitions, dont nous n’avons énuméré qu’une partie, se sont échelonnées dans le temps, le plus souvent sans lien évident avec le paléoclimat, alors qu’elles surviennent systématiquement quelques milliers d’années après l’arrivée des humains ! Troublante coïncidence qui se répète si souvent qu’elle ne peut être due au hasard...

Le dernier survivant de la famille humaine

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Photo : Owen R. 1879. Memoirs on the Extinct Wingless Birds of New Zealand, with an Appendix on those of England, Australia, Newfoundland, Mauritius, and Rodriguez. Domaine public

Cette mentalité prédatrice qui nous caractérise ne semble pas avoir disparu de nos jours. En ce moment, nous assistons à la disparition des grands singes. Actuellement le gorille de montagne n’est pas loin de l’extinction et celui de plaine, autrefois si commun, est en voie de disparition. Les chimpanzés voient leur domaine vital se restreindre chaque jour davantage sous la pression des villageois dont les populations s’accroissent, défrichant la forêt équatoriale pour se nourrir. En Indonésie,es forêts où vivaient les orangs-outans sont en ce moment remplacées par des plantations de palmiers, et les industriels de l’huile de palme essaient de nous faire croire qu’il n’y a aucun problème de cohabitation entre l’homme et ce grand singe qui est en train de disparaître. Doit-on aussi parler de l’emblématique ours blanc sur sa banquise arctique qui fond, du lion, du lycaon et de l’éléphant, qui n’ont plus leur place en Afrique aujourd’hui, ou du tigre qui n’existe plus en Asie qu’à l’état de vestige à sauvegarder ? Les multiples ethnies de chasseurs-cueilleurs, qui témoignent de notre passé pré-agriculture et élevage, sont aussi en train de disparaître sur tous les continents. Or ce Néolithique, qui nous paraît si lointain et date d’environ 10 000 ans, représente seulement 5 % de notre existence en tant qu’homme moderne, et moins de 0,4 % depuis l’apparition du genre humain... Autre rectification troublante, notre histoire n’est plus celle d’une seule lignée d’humains aboutissant à ce que nous sommes aujourd’hui, Homo sapiens placés au sommet de l’évolution. Notre évolution n’a pas été linéaire mais buissonnante, et tous les rameaux, sauf un, se sont interrompus. On a dénombré pour le moment qu’il aurait pu exister plus de 20 humains dont le statut taxonomique est discuté... et nous sommes la seule branche survivant actuellement sur Terre. Quels que soient le lieu et l’époque, l’issue a été la même après notre rencontre avec les grands animaux, les autres hommes préhistoriques, les grands singes et les chasseurs- cueilleurs... Ce qui est indiscutable, en tout cas, c’est que notre espèce constitue la dernière espèce humaine vivant sur Terre ! Il y a moins de 40 000 ans, outre l’homme moderne, vivait en Europe l’homme de Néandertal, que l’on a longtemps décrit comme bestial jusqu’à ce qu’on apprenne qu’il enterrait ses morts en les saupoudrant d’ocre, qu’il se parait de colliers en coquillages et qu’il protégeait les handicapés incapables de se nourrir par eux-mêmes. À part les Africains qui ne les ont jamais rencontrés, les populations actuelles comprennent dans leur patrimoine héréditaire des gènes de ce cousin mystérieusement disparu. «  Néandertal a légué aux Eurasiens une vingtaine de gènes actifs, qui interviennent notamment dans la formation de kératine – protéine des cheveux et la peau – et des défenses immunitaires » résume Céline Bon, paléogénéticienne au Muséum national d’Histoire naturelle [3] Nous sommes donc encore un peu des Néandertaliens ! Comme les précédents humains et les grands mammifères, cet homme, dix fois plus proche de nous qu’un chimpanzé – à un tel point qu’il a été capable de s’hybrider avec nos ancêtres – a disparu quelques milliers d’années après l’arrivée de l’homme moderne en Europe. Certains veulent croire que c’est parce qu’il était moins sociable ou moins entreprenant que le nouvel arrivant [4] . Plus prosaïquement, nos cousins ont-ils été éliminés par les armes et/ou submergés suite au métissage de rares néandertaliens avec des sapiens de plus en plus nombreux [5] ? Exactement comme les Indiens nord-américains ont été décimés et absorbés par les colons européens et comme cela se passe, en ce moment même, au Brésil avec les autochtones survivants en Amazonie.

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Source : F. Grifo & J. Rosenthal. 1997. Causes and Consequences of Biodiversity Loss. Biodiversity and Human Health, p. 40. Washington DC : Island Press.

D’après les dernières découvertes cohabitaient sur Terre, juste avant l’époque des artistes de la grotte Chauvet, en même temps que les Néandertaliens et nous, cinq autres lignées humaines ! Dans l’île de Java, en Indonésie, a été découvert l’homme de Solo, qui serait un homme primitif de la lignée d’Homo erectus. On a trouvé, dans l’Altaï au sud de la Sibérie, quelques dents et fragments d’os de l’homme de Denisova sur lequel on se perd en conjectures mais dont les plus proches parents actuels sont les Papous et les aborigènes australiens. D’autres humains sont en débat comme l’homme de Callao aux Philippines, l’homme de Penghu à Taïwan et l’homme du cerf rouge en Chine. Enfin, cerise sur le gâteau de notre famille recomposée, on a découvert sur une île indonésienne l’homme de Flores, dit le « Hobbit » en référence au petit peuple du roman Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien, puisqu’il mesurait un peu plus d’un mètre et pesait 25 kg. Son cerveau étant gros comme un pamplemousse (430 cm 3 ), certains ont considéré ces humains comme pathologiques. Mais dans ce cas tous les squelettes auraient été atteints de nanisme, ce qui est rejeté par les spécialistes. Ce lilliputien aurait cohabité sur son île avec les populations indigènes d’Homo sapiens, toujours présentes aujourd’hui, mais lui aussi aurait disparu il y a seulement 11 000 ans.

« L’histoire de notre espèce se révèle donc, en quelques milliers d’années, fertile en catastrophes et extraordinairement riche en coups de théâtre. »

Pourtant, coup de théâtre d’une recherche trépidante sur le sujet majeur de l’histoire naturelle de l’homme, un article récent [6] recule jusqu’à - 60 000 ans l’extinction du « Hobbit ». Il y aurait eu erreur, les charbons datés à proximité des os ayant été déplacés par l’érosion... Ce recul dans le temps change tout, mais n’absout pourtant pas Homo sapiens, arrivé à cette époque dans cette région du monde, notamment en Australie où il extermina la mégafaune. Or la grande faune contemporaine du « Hobbit » – vautours, marabouts géants, stégodons cousins des éléphants, dragons de Komodo – disparaît au même moment que lui de cette petite île [7] ... Jean-Jacques Hublin, professeur de préhistoire au Collège de France, parvient aux mêmes conclusions accusatrices, bien qu’il soit plus indulgent que moi pour notre espèce : «  L’homme moderne est responsable de la disparition de nombreuses espèces animales et humaines, et Néandertal fait partie de la liste. En Europe, il a probablement contribué à l’extinction des grands carnivores. Pour des raisons plus idéologiques que scientifiques, on a voulu l’absoudre. On a préféré invoquer des éruptions volcaniques, des météorites, le climat, que sais-je encore... Or, il ne s’agit pas uniquement de l’Europe et de Néandertal : toutes les formes humaines archaïques d’Eurasie ont disparu au moment où l’homme moderne est arrivé sur leur territoire.  » [8] . Bien qu’il reste beaucoup à préciser, l’histoire de notre espèce se révèle donc, en quelques milliers d’années, fertile en catastrophes et extraordinairement riche en coups de théâtre. Et cette longue liste d’humains disparus s’agrandit chaque semestre : la découverte d’Homo naledi, peut-être le chaînon manquant avec les Australopithèques, date de septembre 2015 [9] ! L’aventure unique de la famille humaine nous a fait conquérir le monde en quelques centaines de milliers d’années. Pour expliquer ce nomadisme ravageur et planétaire, les commentateurs parlent avec fierté d’un « gène de l’exploration » que nous posséderions seuls et que je nomme plus crûment : tendance innée à la colonisation prédatrice.

Conclusion

Malgré son orgueil et surtout son énorme cerveau, malgré sa maîtrise du langage parlé et ses inventions sans équivalent dans le règne animal, Homo sapiens n’a pas fait preuve de beaucoup de capacité de prévoyance. Cet aventurier, pas sage du tout malgré le nom qu’il s’est donné (sapiens est un adjectif latin signifiant « intelligent, sage »), possède plutôt la courte vue d’un superprédateur myope. Peut-on, sans être renégat à sa famille, le qualifier de barbare vivant de razzias et massacrant tout ce qui peut se manger ou le concurrencer, sans jamais penser à ses descendants qui auraient bien aimé vivre longtemps dans un monde en équilibre ? En tout cas, il semble appliquer tout le contraire d’une gestion durable de l’environnement, alors que n’importe quel animal sans grande cervelle la pratique de façon innée depuis la nuit de temps. Cela a permis aux autres animaux de vivre le mieux et le plus longtemps possible... du moins jusqu’à l’actuelle « sixième extinction de masse », puisque plus de la moitié des vertébrés a disparu en 40 ans.

P. J.

Notes

[1C. T. Darimont, C. H. Fox, H. M. Bryan, T. E. Reimchen. 2015. The unique ecology of human predators. Science, vol. 349, p. 858-860.

[2L’arrivée des humains en Amérique vient de reculer de 10 000 ans : www.sciencedaily.com/releases/2017/01/170116091428.htm.

[3Céline Bon. 2015. Interview dans Sciences et avenir no 183, p. 59.

[4Curtis Marean. 2015. Comment Homo sapiens a conquis la planète. Pour la Science n° 458, p. 26-35.

[5L’un des derniers livres faisant le point sur ces mystères en voie d’élucidation est Néandertal, mon frère par Silvana Condemi et François Savatier, paru en 2016 chez Flammarion.

[6Thomas Sutikna, Matthew W. Tocheri et al. 2016. Revised stratigraphy and chronology for Homo floresiensi at Liang Bua in Indonesia, Nature 532, p. 366-369.

[7Anne Debroise. 2016. Le Hobbit s’est éteint il y a 60 000 ans. La Recherche, no 511, p. 16-19.

[8Jean-Jacques Hublin. 2015. Interview parue dans le hors-série de Sciences et avenir no 183, p. 58.

[9Kate Wong. 2016. L’incroyable Homo naledi. Pour la Science, no 464, p. 60-69.

Voyez aussi

 le sommaire de la revue n°66 sur le thème « Effondrement écologique et social ; et Trransition intérieure »
 les extraits du livre de Pierre Jouventin « L’Homme, cet animal raté »


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