Des prix agricoles instables
En vue de stabiliser les marchés agricoles, l’intervention publique et la protection à l’importation doivent être reconsidérées selon des objectifs de sécurité d’approvisionnement, et donc de souveraineté alimentaire de l’Union européenne. Une telle optique suppose d’abord de changer le cap de la politique agricole européenne pour la recentrer prioritairement sur la satisfaction du marché communautaire. Elle suppose ensuite de maîtriser les volumes mis sur le marché pour s’assurer que l’offre soit en bonne adéquation avec la demande, de façon à favoriser une plus grande stabilité des prix et des revenus agricoles.
Dans le secteur des produits laitiers par exemple, le marché mondial est trop aléatoire et trop étroit pour constituer la seule perspective d’avenir pour les producteurs européens car les échanges internationaux ne représentent que 6 % de la production mondiale de lait et les prix sont très volatils [1]. Très décriés, les quotas ont joué un rôle efficace dans la maîtrise de l’offre de lait et de produits laitiers, tout en contribuant à une répartition territoriale de la production sur des structures familiales. [2]. De plus, ils ont contribué à maîtriser les dépenses de la PAC. Or l’UE a prévu leur suppression en 2015. [3]
Une protection efficace à l’importation ainsi que des mesures d’intervention, doivent permettre de réguler les marchés agricoles et de stabiliser les prix à la production et à la consommation. La crise laitière de 2008-2009 a montré les limites du désengagement de la maîtrise de l’offre. Elle a aussi montré les conséquences désastreuses que la baisse du prix du lait pouvait générer sur les structures de production (chute du revenu), mais aussi sur les dépenses de la PAC (réintroduction des aides à l’exportation au détriment des pays en développement).
Propositions pour la régulation des marchés agricoles
L’agriculture européenne doit être tournée en priorité vers la satisfaction des besoins de son marché intérieur, ainsi que vers la production de produits à haute valeur ajoutée qui soient exportables sans aides publiques. Il appartient aussi aux pouvoir publics européens de continuer à jouer un rôle dans la limitation des risques de marchés, et donc dans la maîtrise des volumes de production, avec des instruments appropriés qui régulent les prix et assurent des revenus agricoles plus équitables. En effet, les agriculteurs ont besoin de prix agricoles qui soient rémunérateurs afin d’assurer les revenus de base, en couvrant les coûts de production moyens de l’UE.
S’il est impératif de mettre un terme rapidement à toutes les subventions directes et indirectes aux exportations, y compris les aides pour les aliments destinés aux productions animales, dont le lait et la viande pénalisent les agricultures vivrières des pays en développement (cas de la poudre de lait et du poulet notamment), les protections douanières et le recours au stockage stratégique doivent en revanche être renforcés dans la panoplie des instruments d’intervention. Si l’Europe veut que son poids géopolitique soit à la hauteur de son importance économique, elle doit participer activement à la régulation mondiale des stocks stratégiques agricoles.
Les assurances et les fonds de mutualisation constituent néanmoins des pistes qu’il convient d’évaluer au regard de leur efficacité budgétaire, économique, sociale et environnementale. Sur ce dernier point, le fait d’avoir des cultures assurées contre certains aléas climatiques ou naturels pourrait inciter les agriculteurs à relâcher la prévention en utilisant davantage de produits phytosanitaires au détriment de pratiques agronomiques favorisant une résilience des agro- écosystèmes (robustesse des itinéraires techniques, choix des rotations et des variétés…). A l’heure de la nécessaire adaptation des agrosystèmes aux changements climatiques, il apparaît impératif d’évaluer correctement l’impact environnemental induit par les assurances récoltes. Enfin, il convient de souligner que la meilleure assurance contre les aléas climatiques et économiques reste la diversification des activités sur l’exploitation.
Leviers mobilisables pour cette régulation
– financer un système de stockage visant la sécurité alimentaire et la régulation des marchés, afin de prévenir la spéculation sur les matières premières et surtout interdire l’intervention de spéculateurs purement financiers sur les marchés à terme, qui ne prennent jamais livraison des produits ;
– maintenir une protection à la frontière suffisante pour les produits agricoles, afin de préserver le tissu productif dans les territoires européens et, à terme, d’éviter une trop forte dépendance alimentaire à l’égard des importations ;
– dans le secteur laitier d’ici à 2015, évaluer les conséquences sociales et environnementales de la concentration géographique de la production laitière due à l’augmentation des quotas laitiers ; ajuster la décision d’augmentation des quotas laitiers (bilan de santé) selon l’évolution de la demande de produits laitiers ;
– réorienter la politique laitière en priorité vers la satisfaction du marché communautaire et assurer la maîtrise de la production laitière européenne par une meilleure gestion de l’offre. [4] ; favoriser le regroupement de l’offre par bassins de collecte et la gestion collective des volumes par les organisations de producteurs ;
– élargir l’emploi des outils de régulation tels que les quotas de production à d’autres filières soumises à des crises structurelles, par exemple les fruits et légumes, le porc, etc.
– en matière de gestion des risques, évaluer l’efficacité des programmes d’assurance « récolte » et « chiffre d’affaire » eu égard au possible impact environnemental des programmes d’assurance.